Il y a ceux qui sont très à l’aise dans leur espace de coworking à switcher entre une conf call et un reporting pour implémenter le process et ceux qui envoient des courriels et ne mastiquent que des gommes à mâcher.
Éternelle querelle des Anciens et des Modernes ou dispute plus contemporaine entre libéralisme et protectionnisme linguistique ?
Qu’on les approuve ou pas, les emprunts - ces mots étrangers qui viennent s’incruster dans l’usage et, ensuite, dans les dictionnaires - témoignent toujours d’un changement qui dépasse le plan strictement langagier. Le vocabulaire de la musique, par exemple, envahi par l’italien, ne montre-t-il pas que la musique a été elle-même dominée par l’Italie à une époque donnée (et notamment à la période baroque) ? Même chose, dans l’autre sens, pour le français dans la terminologie de la mode. Les révolutions sociales, culturelles et politiques s’accompagnent souvent d’une vague de nouveautés lexicales.
L’emprunt n’est donc pas un phénomène récent. Bien avant l’hégémonie de l’anglais, on criait déjà au scandale lorsque un flux trop important de mots étrangers venaient s’imposer à l’usage. On appelle d’ailleurs un barbarisme une faute de langue (un barbare étant un étranger, et l’acception du mot est, la plupart des fois, loin d’être positive… Bon, c’est un peu plus compliqué que ça, mais je ne vais pas rentrer dans les détails).
Les mots ont toujours voyagé d’une langue à l’autre, d’une culture à l’autre, véhiculant concepts et mœurs. Si on parcourt l’histoire des mots, on peut reconstruire l’histoire d’un pays : les premiers habitants, les premiers envahisseurs, les hégémonies politiques et culturelles étrangères… Saviez-vous, par exemple, qu’il ne reste en français que très peu de mots gaulois, car les Romains ont imposé tout de suite leur langue ? Et que le mot falaise est un emprunt aux Vikings qui s’installèrent naguère en Normandie ?
Avec les mots on emprunte aussi les objets ou les concepts désignés, qui souvent n’existent pas dans la langue d’arrivée. On le voit facilement dans le domaine culinaire.
Véritables voyageurs intrépides, les mots vivent plein d’aventures quand ils se déplacent ! Parfois, même, ils ont le mal du pays et ils rentrent chez eux : c’est le cas du mot tennis, emprunté naguère par les Anglais à la forme de l’impératif français « tenez », et revenu ensuite en France sous sa version anglicisée. Il y a d’ailleurs les emprunts purs, qui ne renoncent pas à leurs origines, et les emprunts adaptés, bien intégrés, morphologiquement, dans la langue d’arrivée (cfr. shopping vs alchimie, de l’arabe al-Kīmíj̄a). Certains mots sont même prêts à renoncer à leurs habitudes grammaticales : l’adjectif bravo, par exemple, devient invariable en français, alors qu’en italien on a bravo, brava, bravi et brave, selon le genre et le nombre du substantif auquel ils se réfèrent.
Et puis il y a ces mots qui sont vraiment bouleversés par le voyage, ils en deviennent méconnaissables… Cela donne lieu à des faux amis (en italien, le gâteau – ou, italianisé, gattò - désigne un plat avec des pommes de terre et du fromage), à des mots qui changent de sens et à des locutions qui n’existent pas dans la langue source. Dites « et tutti quanti » à un Italien, il vous regardera bouche bée : il ne saura pas de quoi vous parlez.
Tours, retours et détours : il y aurait encore plein d’odyssées à raconter, d’itinéraires inattendus à découvrir… Mais pour l’instant, basta. Dans son sens positif, bien sûr, possible en italien, de "pas besoin d’en dire plus".
Pour approfondir :
"Les emprunts et la langue française", article sur le site de l'Université Laval.
Ou, si vous êtes à l’ancienne, le livre d’une grande linguiste, tout à fait accessible aux non initiés : Henriette Walter, L'Aventure des mots français venus d'ailleurs, Paris: Laffont, 1997.
Merci à Hélène Bautista pour sa linogravure que vous retrouvez sur son site: https://helenebautista.weebly.com/
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